Un Nouveau Pouvoir s'élève ! La victoire est imminente. Campé à la tribune, l'orateur poursuit un discours liminaire destiné à entrer dans l'Histoire... (voir "La loi du Milieu (A.K.A "le jour où j'ai sauvé le JdR") - partie 4" et précédentes sur ce même blog)
Le retour du Roi !
"... En tout cas, l’impulsion initiale qui a conduit à cette réunion est née d’une conversation que j’ai eu à Paris l’été dernier, avec C., où j’exprimais une réticence considérable envers mon idée, depuis longtemps négligée, de me présenter à la présidence de la FFJdR. J’avais déjà reçu plusieurs dizaines de mails de gens qui voulaient travailler à « ma campagne », et l’idée de reculer commençait à me remplir de culpabilité – que C. apaisa aimablement en disant que, si je décidais de ne pas faire acte de candidature, je serais l’un des rares rôlistes du pays à pouvoir dire en vérité qu’il avait eu « le président qu’il méritait ».
Ce qui n’est pas vrai du tout, bien sûr – étant donné que pour avoir le président que je mérite il faudrait probablement que je me pose moi-même la couronne sur la tête, tel Napoléon, mais après avoir ruminé cette remarque pendant des mois elle resurgit dans ma cervelle chaque fois que je commence à penser aux jeux de rôle. Et tout particulièrement à l’élection à la présidence de la FFJdR, - que j’avais tendance à considérer, jusqu’au départ inattendu de l’ancien président, en termes très extrêmes et/ou apocalyptiques.
"Quand ça change ça change, faut jamais se laisser surprendre !"
Je partage le sentiment apparemment très vif et potentiellement massif au sein de la "génération des jeunes" d’antan (entre 30 et 40 ans aujourd’hui) que tous les tenanciers de chapelles devraient être soumis au supplice du chevalet – au nom d’une justice réelle ou poétique, et probablement pour le Bien de Tous. Ce sentiment, renvoyé par pratiquement toutes les classes d’âge, de revenus et même de groupes démographiques, est suffisamment large et profond aujourd’hui – et entièrement justifié, selon moi – pour avoir un effet massif , non seulement sur les élections à la présidence de la FFJdR, ce qui pourrait à son tour avoir un effet massif sur la réalité de la pratique du jdr en France pour plusieurs générations à venir, mais aussi sur la pérennité de ce loisir. Parce que ce qui nous guette mes petits potes, c'est la disparition par dislocation, éparpillés façon puzzle entre les râlistes du web, le club des garagistes et les ululeurs fous, sans même parler des guerres de tranchées entre les pseudos écoles (mais n'anticipons pas) ou de la querelle des artistes et des ludistes.
Les lièvres et les tortues...
A titre de présages mineurs et peut-être discutable de tout ceci, nous pourrions nous repencher sur tout ce qui s’est produit autour du narrativisme depuis cinq ou six ans, toute cette pseudo hype, tous ces créateurs qui pensent avoir levé un lièvre, alors qu’il est puissamment évident que la dichotomie entre narrativisme et JdR classique n’est qu’une connerie. Nous pourrions aussi constater qu'en une demie décennie, nous avons vu des hordes entières de pratiquants en revenir à diverses formes de nostalgies rétrocloniennes - retour en arrière presque instinctif qui était plus inévitable que programmé, mais qu’il faudra au moins une autre décennie pour guérir. La mode du retroclone c'est comme une tortue : la carapace de nostalgie est très très solide parce qu'à l'intérieur il y a un petit animal tout mou, très vulnérable, pas mauvais à la broche, mais qui en définitive ne sent pas très bon...
Aristote et ses potes...
Mais je crois que la vraie question que nous devrions nous poser ici, tous ensemble, et que vous avez probablement déjà en tête après avoir entendu une si brillante introduction, c'est : Aristote était-il une grosse andouille ? Je crois que c’est même la SEULE question que nous devrions nous poser, si l’on considère que toute réflexion sur la pratique du JdR devrait avoir quelque chose à faire, à un moment ou un autre, avec la question des récits organisationnels. Or, si je reprends la notion de récit proposée par Paul Ricoeur, à la suite d'Aristote, dans Temps et récits (ce qui nous permettra pour une fois d'échapper à la notion de contrat social et au programme de philosophie pour la classe de Première...), je me rends compte qu'une partie de jeu de rôles peut être considérée comme la production communicationnelle d'une organisation, c'est-à-dire comme un récit "visant à structurer et à configurer un groupe et une action collective", la fonction de ce récit organisationnel étant de créer de la continuité dans la discontinuité, de la cohésion dans le morcellement, de l'unité dans la diversité. Et ça, sans déconner, c'est classe ou pas ?
La règle du JE
Ce qui implique de se fondre dans un collectif et d'apporter sa contribution à la construction commune en CONNAISSANT A FOND L'UNIVERS ET LES REGLES DU JEU choisi. Autant vous dire que je vois ça assez éloigné en termes d'état d'esprit de ce qui se généralise actuellement comme pratiques. Ainsi par exemple, le rêve du narrativisme, n’est-ce pas finalement de supprimer les règles, mission aussi stupide qu’impossible, et en plus vachement contraire à la définition du jeu selon Roger Caillois ? La question n’est pas de supprimer les règles mais de permettre un jeu ("Backlash") suffisant dans leur usage pour qu’elles n’empêchent pas l’invention. A partir de ce moment-là je crois qu'on peut tous se fédérer pour dire que l’analyse de leur usage ne doit pas se limiter à la police des techniques qui les ont établies. Pour que le «jeu» permette création et respiration, pour ne pas sombrer dans la répression narrativiste, il convient aussi de ne pas confondre "Game" et "Playing" (sans même parler de "Set" - au sens de jeu d'outils - comme l'ont avancé certains petits malins qui sont en train, sous mes yeux en plus, d'essayer de tordre le sens des mots pour en faire de la bouillie pour les chiens, et qui croient qu'on ne les voit pas !). C’est au second sens bien sûr que se réfère le terme jdr, jeu où nous transformons, toujours en reprenant Caillois, les «formes imposées du monde pour les inventer, nous les approprier subjectivement» dans un processus qui est un travail de l’art et de la pensée.
Dans quel état j'ère ?
Au point où on en est, je me demande si nous ne devrions pas convoquer des états généraux du JdR francophone, ne serait-ce que pour savoir dans quelle étagère se ranger, mais cela me conduirait INMANQUABLEMENT à des extrémités intempestives et... Ah… folie, folie, où cela finira-t-il ?
Je pense le savoir, s’agissant de la manière dont je vis et entend continuer à vivre de ma propre vie – mais à mesure que je vieillis et devient plus moche et plus méchant, il m’apparaît de plus en plus clairement que seul un fou ou un connard égomaniaque voudrait imposer la structure de son propre style de jeu à des gens qui ne le comprennent pas, à moins qu’il ne soit prêt à assumer sa responsabilité personnelle pour les conséquences qui s’ensuivraient...
Bon dieu, c’est reparti ! Y a-t-il quelqu’un, dans ce groupe maudit par le sort, qui connaisse un médecin spécialisé dans les addictions ludiques ? Si oui, je le retrouve près du distributeur à café demain à l’aube !"
Interruption de séance
Il semble qu'à ce point un léger incident de séance soit intervenu lorsque le chairman a sauté par-dessus le bureau en hurlant, bondi de l'estrade vers les premiers rangs en aspergeant au passage Laurent et Mikaël avec un extincteur qu'il tenait dissimulé sur ses genoux jusque-là, avant de sortir en courant de la salle de conférence.
Nous avons heureusement pu nous procurer le texte de son discours qui était resté sur la tribune, et nous essayerons de vous proposer sur ce même blog la suite et fin de cette vision fulgurante et prophétique de l'avenir de notre hobby, pour peu que nous réussissions à en décrypter l'écriture pour le moins torturée...
A suivre !