Par curiosité médiévale et sur la foi d'un bon pressentiment, j'ai regardé ces dernières semaines les 8 épisodes de la série de création française diffusée par France 3 : la Commanderie. Alors, OK, la diffusion est terminée, c'est pas très malin de vous en parler maintenant si vous l'avez ratée mais, en même temps, cela n'aurait pas été non plus très fute-fute de vous en parler avant de l'avoir vu, pas vrai ? Bref, quadrature du cercle et tout ça. Au pire, une petite rediff' estivale, une VOD ou même, soyons fous, une sortie en DVD et hop, vous rattraperez votre retard à bon escient.
Alors la Commanderie, c'et une mini-série en 8 épisodes de 52 mn chacun qui se propose de retracer la vie et les aventures tumultueuses des habitants d'une ancienne comanderie templière désormais gérée par les Hospitaliers. L'action se déroule en effet au 14ème siècle (en Bourgogne) bien après la disgrâce des Templiers.
L'approche retenue par les scénaristes (emmenés par Ludovic Abgrall) comme par le réalisateur (Didier Le Pêcheur) est un mix habile entre rigueur historique et contraintes des aventures télévisuelles. Pour la première, nous avons des visuels (décors naturels, costumes honnêtes, photographie assez pâle et austère...) et surtout de nombreuses scénettes, souvent très naturellement intégrées au déroulement de l'action, qui donnent un bon aperçu de la vie au Moyen-âge. L'équipe comporte un conseiller historique et cela se sent sans pour autant devenir pesant ou trop présent au point de nuire au rythme ou à l'immersion dans l'aventure elle-même.
Pour la seconde approche, nous avons des dialogues modernisés (sans ancien français) qui passent très bien et, évidemment, une intrigue occulto-historico-bisous-bisous un peu convenue mais quasi inévitable pour une série diffusée à une heure d'écoute grand public sur une chaîne grand public du service (grand ?) public. Sans dévoiler cette intrigue, disons juste que Jacques de Molay aura encore une fois l'occasion de se retourner dans sa tombe. Ah, il en a pas ? Bah ça doit être pour ça alors qu'on lui fait toutes ces misères au fil des ouatemille films, romans, BD... mettant en scène l'ordre des Templiers ;-!
Au bilan, j'ai bien aimé. C'était fort agréable à suivre et, surtout, la série propose un casting de premier choix truffé d'acteurs auxquels on confie assez souvent des seconds rôles mais qui sont largement premiers par le talent. Parmi ceux qui m'ont épatté et que je connaissais (TV ou théâtre), je citerais : le Commandeur en personne, Carlo Brandt, le Méléagant de Kaamelott (à noter d'ailleurs un guest de Alexandre Astier en inquisiteur dans la série : on est entre gens de bon goût !) avec son inoubliable voix suave...
... ou encore le sire de Montet sous les traits de Pascal Elso.
Il y a aussi ceux que j'ai découvert (enfin, je crois, avec les costumes et le maquillage...) et qui m'ont bien bluffé. Je pense en particulier au personnage du Breton, le chef mystico-allumé des Routiers qui hantent les abords de la commanderie. Il est vrai que le personnage est rudement bien troussé par les auteurs mais il est aussi délicieusement interprété par Franck Manzoni. Un régal.
Mais si je vous parle de cette série, c'est aussi qu'elle peut intéresser le rôliste qui sommeille en vous et qui est prêt à jaillir, telle la Bête, a tout moment :
- la construction chorale de la série qui suit le parcours de plusieurs personnages gravitant autour de la commanderie, leurs relations, leur destin individuel, leurs intérets collectifs... tout cela donne fort envie d'écrire et de faire jouer une campagne de jeu de rôles différente des formats traditionnels, où l'intrigue principale s'efface un peu pour laisser la part belle aux personnages et aux intrigues secondaires. Bon, néanmoins, pour ce faire, il faut tenir compte d'une contrainte qu'ignorent bien évidemment les scénaristes de série : prévoir des joueurs actifs, plein d'intiatives, pas ceux du genre à choisir un garde du corps ou à attendre le moment où on leur dit que c'est bon, ils peuvent lancer les dés et commencer à taper dans le tas...
- l'autre contrainte de ce type de construction scénaristique, fort bien contournée par les scénaristes, c'est l'unité de lieu ; si les personnages ne forment pas un groupe constitué et qu'il n'y a pas une intrigue linéaire, il faut impérativement qu'ils soient reliés par un lieu auquel ils sont attachés de gré ou de force. L'idée de la commanderie isolée au milieu d'une terre ingrate parcourue de hordes de routiers (pas sympas) et menacée par le peste est très efficace. Elle peut néanmoins être remplacée par une station orbitale ou un avant-poste fortifié environné de sauvages peu commodes.
- la Commanderie permet, enfin, de se rappeler que le médiéval historique et réaliste est vraiment un genre sous-exploité dans la production ludique francophone ; y a des épées, des armures, des donjons et de la baston et pourtant, nada... bizarre.
Bon, bien sûr, il y a Miles Christ. Je vous ai déjà dit ici même (d'autres articles existent : fouillez avec le moteur de recherche) tout le bien que je pensais de ce jeu. Il permet justement d'incarner des Templiers qui ne sont pas si éloignés des Hospitaliers donc qui peut être utilisé tel quel pour jouer dans l'ambiance de la Commanderie. Toutefois, outre le fait que le jeu n'est plus publié, il présente aussi le défaut de ne pas prévoir de jouer ailleurs qu'en Terre Sainte. Dommage que des suppléments sur les commanderies d'occident ou sur la Reconquista espagnole n'aient pas eu le temps de voir le jour dans cette gamme.
Pour aller plus loin sur cette sympathique série :
Le site officiel bien flashy de la série : http://www.francetelevisions.fr/la-commanderie/
Ou mieux, le dossier spécial consacré à la série par le site web Le Village, bien plus riche en contenu : http://www.a-suivre.org/levillage/article.php3?id_article=1958
Je terminerai en signalant que la série, très mal annoncée et diffusée dans un format ridicule (3 épisodes par soir !) dans la case horaire habituellement occupée sur cette chaîne par... Louis la brocante a fait un bide mémorable et que, malgré le cliffhanger du dernier épisode, on peut déjà se brosser pour voir un jour la suite. Bientôt, à la place, les énièmes redif' de ce bon vieux Loulou la misère :-((