Sachez que je suis toujours à l’affût dans les boutiques, planqué entre deux étagères au fond de la salle, dans les endroits un peu sombres qui sentent si fort la testostérone, la bonne chaleur de l’animal et les vêtements un peu sales où ne me trahissent que quelques furtifs froissements de paquets de chips. Et ça vient encore d’arriver : je viens à nouveau de mettre la main sur un écran de jeu, celui de Loup Solitaire, le Jeu de Rôles Avec Plein de Majuscules Dans l’Univers des Livres Dont Vous Etes le Héros. Voilà qui va donner lieu sur ce blog à un nouvel épisode des désormais célèbres Dossiers de l’écran.
Le style de Gary Chalk qui maîtrise à merveille le Noir & Blanc ne se prête pas forcément bien à la mise en couleurs, comme on avait pu le constater avec la couverture du livre de base. Ce n’est pas que cette couverture soit ratée, loin de là, mais on sent bien qu’elle ne passe pas très bien une fois travaillée avec des à plat de couleurs vives façon Technicolor. Les éditions Sparrow Book et Folio Junior avaient d’ailleurs à l’époque fait appel à d’autres illustrateurs plus dans le style classique et disons-le un peu pompier des visuels d’Héroïc-Fantasy pour les couvertures des 20 volumes de la série comme aujourd’hui d’ailleurs pour la réédition de ceux-ci. Mais dans les pages intérieures, en petit format comme en pleine page, ses illustrations en Noir & Blanc restent inoubliables et ont probablement pour beaucoup contribué au succès de la série. Revenu du diable vauvert par on ne sait quelle Porte des Ténèbres©, Mister Chalk a aussi plus récemment produit de nombreuses illustrations dans les livres de la série Cadwallon qui nous ont régalé les yeux et certaines ont servi d’étude ou à tout le moins d’inspiration pour les artistes de la regrettée société Rackham* qui ont sculpté les figurines de la gamme. Tout cela pour dire que ce dessinateur est un authentique artiste, un des plus grands de notre époque, à classer dans la catégorie Noir & Blanc aux côtés de Miller ou de nos géniaux (et trop rares ces derniers temps) Manchu et Roland Barthélémy nationaux.
Bon, pour autant était-ce une raison pour nous proposer un écran de jeu en Noir & Blanc lui aussi, et qui plus est avec une mise en page que les plus indulgents qualifieront de malheureuse ? En tant que démarche artistique le partit pris du Noir & Blanc peut encore se défendre. Comme dirait Michel Pastoureau s’il était là** «(…) avec le blanc son compère, le noir nous a construit un imaginaire à part, une représentation du monde véhiculée par la photo et le cinéma, parfois plus véridique que celle décrite par les couleurs. L’univers du noir et blanc, que l’on croyait relégué dans le passé, est toujours là, profondément ancré dans nos rêves et peut-être dans notre manière de penser.» Bon, du coup ok pour le Noir & Blanc.
En revanche le découpage en fines tranches d’illustrations reprises du livre de base (où pourtant elles figuraient en pleine page) sur 3 des 4 parties de l’écran est franchement une mauvaise idée. D’autant que le visuel de l’écran est un peu la carte de visite d’un jeu et que la grande surface disponible est une occasion à saisir pour proposer de vraies belles illustrations que d’aucuns aiment afficher sur les murs comme j’ai pu m’en rendre compte aux 20 ans du Club Pythagore ;=D. La seule illustration originale est celle du facial et elle présente d’ailleurs une de ces superbes scènes urbaines dans lesquelles G. Chalk excelle.
Mais surtout, surtout, était-ce une raison pour ne rien mettre d’autre dans l’écran que… l’écran du jeu ? Alors c’est vrai, pour 15 euros (prix public conseillé), aujourd’hui t’as plus rien. En tout cas t’as plus un écran de jeu puisque le nouveau standard de prix pour cet accessoire que beaucoup jugent indispensable mais qui coûte très cher à produire et que les éditeurs arrivent rarement à rentabiliser, ce serait plutôt 17 voir 21 euros. Seulement pour ces 6 euros de plus, en général les potentiels acquéreurs se voient proposer un supplément scénario, une Petite Fabrique de l’Horreur, un Flashpack, enfin quelque chose quoi ! Alors que là rien, nada, queutchi. Juste un côté illustrations et un côté tableaux. A tel point qu’il pourrait être tentant pour les plus bricoleurs d’entre vous de se faire quelques photocopies et de les glisser dans le malin écran en plastique proposé par toutes les bonnes boutiques de VPC pour se fabriquer un équivalent maison. Bon, je vous ferai alors simplement remarquer que même si vous ne comptez pour rien les photocop’ vous en aurez quand même pour environ 15 euros entre le bidule et les frais de port. Alors bien entendu, encore moins cher, vous avez les photocopies collées directement sur des feuilles de Canson™ ou des morceaux de boîtes de Kellogg’s à la va-vite, mais serait-ce bien raisonnable ? Faites plutôt comme moi, considérez cet achat comme un acte militant, une façon de dire aux petits gars du Grimoire c’est bien ce que vous faites les mecs, on est avec vous, alors ça ira pour cette fois, mais n’y revenez pas***.
** : Michel Pastoureau in Le petit livre des couleurs, éd. Points Seuil, 2005.